Gang Flow

GANG FLOW
Le média de la musique classique

PUBLIÉ LE 13 JUILLET 2019 
 par ANNE-SANDRINE DI GIROLAMO

Anaïs Gaudemard et Camille Pépin : la musique ensemble

Anaïs Gaudemard et Camille Pépin, fait du hasard assez drôle, ont sorti leur premier disque solo le 22 février 2019. Mais elles ont encore bien davantage en commun. Une conviction solidement ancrée dans leur pratique du métier de musicien professionnel, celle que la musique contemporaine doit avoir une place dans chaque concert de musique classique. Et chez elles, les mots ont un sens… Anaïs Gaudemard aura en effet porté sur scène 17 fois cette année la pièce pour harpe solo composée par Camille Pépin « Nighthawks. L’occasion d’une interview croisée…

Anaïs Gaudemard parle de Camille Pépin et vice-versa 

Anaïs Gaudemard arrive la dernière au rendez-vous. Immédiatement, elle s’adresse à Camille Pépin. « Ca va toi ? D’où reviens-tu ? » Camille de répondre qu’elle revient du Festival International de Musique de Besançon et du concours de jeunes chefs qui y est organisé. « Cette année, vingt-cinq candidats dont trois femmes. C’est assez représentatif. » A l’évidence, les deux artistes s’apprécient énormément, même si elles ont peu d’occasion de se rencontrer. 

Anaïs Gaudemard est harpiste. Elle a défendu sur scène la pièce pour harpe solo composée par Camille Pépin : Nighthawks. Nous avons donc demandé à Anaïs de parler de Camille et vice-versa. 

Anais Gaudemard  : « Camille Pépin est une passionnée. Je pense que c’est là sa plus grande qualité. Très perspicace, elle a énormément d’intuition dans ses choix professionnels et artistiques. C’est une intuition sans calcul, une vrai écoute de soi-même. Et puis très concentrée et centrée. Et brillante aussi ! Même si elle n’est pas en train de composer, elle a besoin d’être stimulée intellectuellement. Si Camille ne compose pas, alors elle lit, va voir un film ou une exposition. Bref, elle se nourrit. »

Camille Pépin : « Anaïs, c’est fou, est toujours joyeuse. Tout le temps et en toutes circonstances. Avant, pendant et après le travail. Ce que j’aime chez elle, c’est sa passion pour la harpe. Même si la harpe est son métier et même si elle en fait tous les jours, elle y a des étincelles dans les yeux quand elle en parle. Cette passion de l’interprète pour son instrument, c’est très important pour le compositeur car c’est inspirant. » 

La harpe au coeur des échanges d’Anaïs Gaudemard et Camille Pépin

La harpe est évidemment au coeur de nos échanges et de leurs échanges entre elles. Entre le compositeur contemporain et le musicien interprète, il se tisse une véritable collaboration. L’émulation est positive. 

Anaïs Gaudemard : « Personnellement, j’attends qu’elle compose encore plus pour la harpe. Une écriture fournie et qu’elle n’ait pas peur des limites. Elle ne doit absolument pas se limiter car il ne faut pas avoir peur de cet instrument.» 


Camille Pépin : « Ecrire pour la harpe est difficile surtout si le compositeur n’est pas harpiste. Personnellement, j’ai eu du mal à me rendre compte de la taille de l’instrument alors j’avais loué une harpe. Et composer une pièce pour harpe solo ou pour ensemble avec harpe, ce n’est pas du tout la même chose. D’un côté, il faut tout créer et de l’autre, la harpe est là pour apporter des couleurs supplémentaires à une texture qui est déjà existante. »

Nighthawks au coeur de leur collaboration

Côté compositeur…

« Pour Nighthawks, je me suis inspirée d’un tableau d’Edward Hopper (1942). Des oiseaux de nuit aux drôles d’oiseaux assis dans un bar… Cette pièce est ma première pièce pour harpe solo. Elle a été jouée en 2019 par Anaïs à de nombreuses reprises à la Philharmonie du Luxembourg, à Lisbonne, à Hamburg, etc... J’ai vraiment aimé le moment de notre rencontre pour la première répétition car c’était la première fois que j’entendais réellement ma pièce. »

Côté interprète…

« Cette pièce est très belle. Quand elle arrive dans un concert après une pièce plus classique, il y a un beau contraste. L’enjeu est de bien la placer dans le concert car il faut qu’elle ait une vertu comme « hypnotisante ». Elle ne doit pas être placée après une pièce trop « ton sur ton » comme un Debussy. Il faut davantage jouer sur le contraste. Enfin, l’acoustique de la salle doit être bonne car c’est une pièce assez intimiste. »

La place de la musique contemporaine aujourd’hui

L’exemple suivi par Anaïs Gaudemard et Camille Pépin est remarquable. Interprète et compositeur collaborent ensemble et offrent au public le privilège d’entendre la musique classique de leur temps. Les difficultés sont pourtant réelles.

Anaïs Gaudemard : « Je travaille avec les compositeurs contemporains dès que j’en ai l’opportunité. Par exemple Philippe Hersant, Esteban Benzecry. J’essaie aussi de porter une pièce contemporaine par an. Et disons tout simplement les choses. La composition contemporaine se paie. Personne ne trouve anormal d’aller au cinéma, au théâtre ou au musée sans payer. C’est la même chose pour la musique classique. »

Camille Pépin : « Le cachet d’une commande ne me permet pas d’assister à tous les concerts. Prenons l’exemple de Nighthawks. Il a fallu trois mois de travail pour achever cette pièce. Le cachet me sert à vivre mais sincèrement, le cachet était insuffisant pour vivre pendant trois mois. »

Pourquoi de telles difficultés ? Quels sont les points de vue de chacune à ce sujet ? 

« Personnellement, je ne vais pas à un concert en espérant que le programme me plaise ou qu’il réponde à ma sensibilité. J’y vais pour apprendre et pour m’ouvrir. Il n’est pas important d’aimer ou de ne pas aimer. Ce n’est pas grave du tout si vous allez à un concert et que vous n’aimez pas. En revanche, il est important de pouvoir en discuter. Je suis persuadée que c’est là le but du concert. Nous apprendre à pouvoir dire pourquoi nous n’aimons pas. »

« Dans l’histoire de la musique classique, une rupture est intervenue entre la musique contemporaine et le public. Je ne saurais en donner les raisons mais je sais qu’il nous appartient de recréer ce lien. Et pour moi, recréer le lien cela passe par les interprètes. »

Les derniers mots de Camille sont comme un remerciement à l’interprète qui a porté en 2019 sa pièce Nighthawks sur les scènes européennes. Nos deux artistes sont un bel exemple pratique d’une collaboration amicale, positive et enthousiasmante entre un compositeur et ses interprètes. 

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